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SERGUEI KOKOVKINE

Mrs LEV
ou la nuit avant le dernier voyage


traduction Gérard Abensour


Extrait du texte

Tapsel. Mrs Tolstoï, veuillez m’excuser, Mrs Lev Tolstoï. Comtesse veuillez m’excuser. Il se fait tard, je comprends. Mais le train a eu du retard. On m’a fauché mes souliers, et personne ne parle anglais. Je suis profondément désolé.

La Comtesse. Mais qui êtes-vous ?

Tapsel. Oh ! Excusez-moi, je vous en prie. Je suis Mr Tapsel, Thomas Tapsel de Londres. J’ai une lettre…Attendez une seconde, elle est écrite en russe et je suis recommandé de la meilleure des façons. (Il fouille dans son sac de voyage.) En fait l’invitation à venir voir le comte m’a été faite au printemps mais en Angleterre tout est sens dessus dessous, surtout maintenant. Finalement il a chamboulé tous mes plans et il est mort.

La Comtesse. Qui donc ?

Tapsel. Le roi. Vous ne pouvez imaginer comme j’en ai été affecté. Je veux dire le roi Edouard VII. J’avais déjà pris mon billet de bateau pour Saint-Petersbourg… Et voilà qu’il meurt. Evidemment des funérailles nationales, c’est mon gagne-pain.

La Comtesse. Vous enterrez les rois ?

Tapsel. Pas uniquement . Mais les rois c’est une bonne affaire, vous comprenez bien.

La Comtesse. Pourquoi je devrais vous comprendre ?

Un silence.

Tapsel. Je voudrais changer de chaussures, si vous permettez…

La Comtesse. Où est la lettre ?

Tapsel, il lui tend la lettre. Je crois que j’ai fait une gaffe, veuillez me pardonner.

La Comtesse. Ici on n’y voit rien. Je vais la lire dans ma chambre. Toi, Ermile, donne-lui un coup de main.

Le domestique avance une chaise. Tapsel enlève ses chaussures et ses chaussettes qui sont trempées et défait ses valises nu-pieds dans l’entrée.

Tapsel. Vous savez, notre roi est parent de votre tsar. Vous comprenez ce que je dis ? Vous parlez anglais ? Pas possible. Pourtant vous me comprenez bien. Je parle du tsar… de Nicolas. (Ermile hoche de la tête.)

La clochette frétille à nouveau au-dessus de la porte. Ermile s’efforce à nouveau de la bloquer. Tapsel regarde fixement le domestique. Un silence. Soudain la comtesse apparaît à nouveau.

La Comtesse. Ah ça non ! Il n’en est pas question. La lettre est de Mr Tchertkov. Il n’est pas question pour moi de lire une telle lettre. (Elle aperçoit les pieds nus de Tapsel.) Dieu m’est témoin ! Sortez immédiatement d’ici.

Tapsel. Et où je devrais aller ?

La Comtesse. Cela m’est tout à fait égal. Ah ça non, je ne peux pas, je ne veux pas. Vous êtes venu voir Tchertkov, eh bien allez le rejoindre.

Tapsel, il remet ses chaussures trempées. Ce n’est pas juste, comtesse. Evidemment Edouard aurait pu tenir encore un peu… Mais le comte sait bien que je devais, que je devais un jour ou l’autre venir faire mon pèlerinage. Mais aussi il ne faut pas vivre renfermés. C’est pas bien de bloquer la sonnette de la porte avec un mouchoir…. La sonnette est faite pour sonner et le mouchoir pour rejoindre la poche.

La Comtesse. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de sonnette ? (Elle examine la porte d’entrée.) Ermile, qu’est-ce que ça ? Pourquoi as-tu bloqué la sonnette ?

Ermile. Tout le monde est couché. C’est pour ne pas les réveiller.

Tapsel. Mais il pleut, et les dames vont avoir peur d’entrer.

La Comtesse. De quelles dames il s’agit ?

Tapsel. Je ne sais pas, moi, regardez vous-même.

La Comtesse. Qui y a-t-il là ?

Ermile. Il n’y a personne, il pleut.

La Comtesse. Pourquoi il parle de dames alors ?

Ermile. C’est un étranger… Il ne comprend rien à ce qui se passe chez nous.

La Comtesse. Allons, ouvre la porte ! Ouvre qu’on te dit !

Ermile ouvre la porte et marmonne dans l’obscurité.

Ermile. Il n’y a personne, votre Noblesse. La nuit on voit toutes sortes de choses.

La Comtesse, à Tapsel. Il y avait là votre dame ?

Tapsel. Ma dame ! C’est du nonsense ! La seule chose que nous avions en commun, elle et moi, c’est l’absence de chaussures.

La Comtesse. Vos chaussures ? Où sont-elles ?

Tapsel. On me les a volées.

La Comtesse. On vous les a volées ici ?

Tapsel. Mais non, dans le train.

La Comtesse. Me voilà rassurée. Je suis profondément désolée… Mais vous êtes venu voir Mr Tchertkov, il faut donc que vous alliez le retrouver dans son domaine de Téliatkini.

Tapsel. Me permettez-vous de changer de chaussettes ? (Il fouille dans sa valise.) Votre Noblesse, il faut que je vous dise : je suis allé à Téliatkini. On m’a dit que la police venait d’arrêter Mr Tchetkov et de l’emmener on ne sait où.

La Comtesse. C’est vrai, il est interdit de séjour dans notre région, Sa présence a une influence néfaste sur son entourage et il empêche Tolstoï de vivre et de travailler.

Tapsel, en train d’enfiler ses chaussettes. Mais est-ce que ce n’est pas la faute de votre tsar bien-aimé ? N’est-ce pas lui qui a fait condamner Mr Tchertkov à dix ans d’exil en Angleterre ? Tout le monde estime que c’est un acte arbitraire. Vous pouvez remercier notre roi pour sa bonté. Sa bonté passée, évidemment...

La Comtesse. Mr Tempel, contrairement à votre souverain notre tsar est vivant et il sait ce qu’il fait. Et quand sa police protège le comte de la sollicitude importune de Mr Tchertkov, je ne puis que m’associer aux décisions de mon monarque. « Surface sensible gélatino-bromure »… Avec émulsion renforcée ? Ce sont des plaques nouvelles ?

Tapsel, lui tend quelques plaques photographiques. Oui, des plaques pour photos en couleurs.

La Comtesse. Vous faites des photos en plein jour ? C’est incroyable. Peut-être des fleurs ?

Tapsel. Surtout des enterrements.



 
mrs lev

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cote NOVAIA : NRU 98











  

La pièce peut être librement
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Personnages

Le Comte
La Comtesse
Ermile
Tchertkov
Tania
Tapsel
Un Tcherkesse














kokovkine

Serguei Kokovkine






 

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