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VIATCHESLAV DOURNENKOV

Dans une ville noire-noire

traduction Elena Tailfer


Valentina - Et ça parle de quoi, mon petit ?
Dima - Ça parle de pressentiments.
Valentina - Et moi, j'ai rien compris. Peut-être bien que j' suis devenue complètement idiote.
Natacha - C'est ce qui fait bouillir le sang
Valentina - Comment c'est ?
Dima - Les fesses au vent.
Valentina - Eh... Tu n'as pas honte de te moquer d'une vieille femme ?
Natacha - On ne se moque pas, on veut t'aider. Vas-y, raconte leur ça...
Valentina - Et d'où est-ce que vous tenez ça ?
Dima - D'ici et là ...

Valentina, perdue et oppressée, s'approche du bord de la scène.

Valentina - Cela est arrivé l’année où Gagarine est allé dans l`espace. Il y avait quelque chose dans l’air qui donnait l’impression que, pour un peu, tout le monde allait devenir gentil et bon. La nuit. je sortais pour regarder les étoiles qui me regardaient à leur tour. Entre nous s’insta|le une sorte de contact invisible. Un soir pluvieux d’octobre, je commence à entendre des voix cosmiques. Elles m’appellent  : « Valentana ». Valentana, elles disent, il ne faut pas nourrir les cochons avec de l’oseille, ça leur donne la diarrhée. Valentana, il est temps d’attacher les pommiers. Je n’avais pas de mari et peu à peu ces voix remplacent ma famille, elles étaient toujours là, elles me donnaient des conseils, elles m’évitaient de faire un mauvais pas, elles me consolaient et elles me remettaient sur le droit chemin cosmique. De cette façon passe l’hiver. Au printemps, les voix disparaissent et ma vie me paraît tout comme le latimeria crossoptérigien qui a survécu mais qui est incapable de vivre. Je me mets bien à me parler à moi-même, mais ce n’est pas ça. La perte est trop lourde.
On change le dirigeant de notre pays, les voisins achètent une télé couleur, le fils de RaÏssa, Nikolaï, entre dans une école supérieure d’agriculture et moi, je vis toujours comme un stégosaure, lourd et pataud, traînant une queue couverte d’épines de souvenirs derrière moi.
A l’automne, je vais chercher des champignons dans la forêt. Je décide de rentrer par un ancien chemin vicinal. L’obscurité se fait plus dense. Je m’arrête pour ajuster mon foulard.
– Valentana, ne te retoume pas, cours ! retentissent des voix dans ma tête.
– Oh ! Vous êtes revenues, mes chéries, je dis sans pouvoir retenir mes larmes.
– Valentana, nom de dieu, cours ! ! ! crient les voix dans ma tête tellement fort que l’espace d’un instant, j’en perds la vision. « Cours ! ! ! » Je laisse tomber mon panier et je me mets à courir.
Deux jours plus tard, j ai su que dans cette forêt, la police avait arrêté un homme avec un énorme couteau à débiter la viande. On l`a reconnu coupable et on l’a fusillé.
Natacha. – Voilà, c’était la poésie.
Dima. – Alors, qui c’est qu’a toujours pas compris ?
Natacha. – Ils n’ont plus qu’à se taire.
Dima. – En vérité, qui se tait ne parle, qui parle ne se tait.
Natacha. - Tu t’es tu, qu’entends-tu ? Cependant, nous aussi, on a quelqu’un à écouter.
Dima. – C’est juste.
Natacha. – Tu es prêt ?
Dima. – Je suis prêt.

Baba Mania s ‘approche du bord de la scène. 20:30.

Baba Mania. – Bonjour, mon cher Bouris.
Tu écris que loin de la patrie
Particulièrement perceptible est la fatigue
Qui par le cyber-espace des autres
Par la culture étrangère de l’utilisateur, est évoquée
Formater ce paysage invisible tu as beau
Tirer à toi les utilitaires des autres tu as beau
L’étranger reste l’étranger
Près de la fenêtre en larmes, celui qui a fait
Le serment Bodkchisatva
Près d`un pommier récemment installé
Est ton regard, est ta parole.
La patrie reste la patrie
On lui dit qu’il n y a rien de pire qu’elle
On lui dit qu’elle pourrit
On lui dit qu’elle est maudite
Tout le monde se moque d’elle
Mais viendra le temps où elle se mettra en avant pour montrer à tout le monde
De quel bois se chauffent les Russes
Que ce bois est bien sec
Et qu’il y en a en suffisance.
Oui, ses périphériques se chargent lentement,
Oui, ses tracteurs sont mal enregistrés
Oui, ses hommes plantent
Ce n est point pour cela qu’on l`aime
Elle a pour nous une sorte de tendresse du soir
Qui couvre ses enfants méchants d’un châle chaud
Méchants, parce qu’elle est leur mère
Tu sais bien, Bouris, les enfants manquent de bon sens.
Ils cachent dans l’herbe leurs édifices,
Ils inventent des règles de jeu
Que nous ne comprenons pas
Tel un énorme Greenway pataud passa un oiseau
Et je pense à nouveau à toi
Tu écris que tu cesses de t’étonner
Mais c’est pour la jeunesse si naturel
Il y a un temps pour faire des voeux
Et il y a un temps pour avoir peur
Qu ils se réalisent.
Dans la forêt craquent les branches-articulations
Les artères des trains
Laisseront pour toujours
Les fils d’inquiétude
Et seulement à la fin
Tu comprendras que tu aimes
Tu lui céderas et tu t’oublieras
Toi-même
Dans un parc ombragé de la ville
Après avoir fait un bonhomme en papier papillote
Après lui avoir construit une maison avec une table et un poêle
Où une branche frappe à la vitre pour qu’il ait toujours de la chance
Là où le temps lui fera grâce
Là où les étoles donneront leur chaleur


Rideau







Dans une ville noire-noire
in MISSIVES N° 235 - 11,00 euros
Date de parution : Septembre 2004
ISSN 1169-212 X

 
noire

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cote NOVAIA : NRU 76




Personnages

Piotr, la cinquantaine.
RaÏssa, sa femme.
Valentina, leur voisine.
Baba Mania, la mère de Valentina, paralysée.
Natacha et Dima, jumeaux, huit ans.






dournenkov

Viatcheslav Dournenkov
Festival Lectures en Mai
Togliatti, mai 2001
 
 

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