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VLADIMIR & OLEG PRESNIAKOV

Terrorisme

traduction Anne-Catherine Lebeau


Extrait du texte

ACTE IV

2e femme
Mais à quoi tu pensais ? Tu sais bien de quelle race il est !? Ils ont ça dans le sang, donner des ordres, prendre le contrôle, et toi, tu les as laissé mêler leur sang...
1re femme
Mais ça a fait un bel enfant...
2e femme
Beau! Et après ? Il va être comme son père ! Un dégénéré.
1re femme
Arrête !
2e femme
Quoi? C’est vrai ! Si on ne l’arrache pas tout de suite à l’influence de son père, il va être exactement pareil !
1re femme
Au moins, il a un bon travail, il fait de l’argent !
2e femme
Vois-tu seulement la couleur de l’argent qu’il gagne ? C’est ça ! Où tu m’as dit qu’il dansait, au casino ?...
1re femme
C’est un club, un restaurant...
2e femme
Oui, mais ce travail-là, il va le garder seulement tant que l’ethnique va être à la mode. Ils trouvent du monde comme ton gendre, ils les font danser, chanter, comme ils font là, dans leur style national, folklorique. Il n’y a personne qui comprend ce qu’ils chantent, ni ce qu’ils dansent, parce qu’ils se droguent tous, ils sont pris là- dedans. Ils trouvent ça cool que quelqu’un se fasse aller devant eux en beuglant quelque chose où y’a rien à comprendre. Ceux qui ont de l’argent, ça les fait bander, l’ethnique, ils mettent de l’argent là-dedans, comme sur ton gendre. Eux, les ethniques, ils pensent vraiment que quelqu’un comprend ce qu’ils font, mais tout le monde s’en torche, c’est juste parce que c’est la mode, parce que ça intéresse plus personne de comprendre les chansons, les danses normales. Leurs cerveaux sont comme des barres de chocolat Aero, pleins de trous. Oui, et ça les intéresse pas, plus personne a le goût d’entendre une langue normale, de voir une culture normale. Des drogués, des drogués partout, ils ont de l’argent – des producteurs, des directeurs de réseaux de marketing, des superviseurs –, ils travaillent pour leur drogue, toute ma pension à moi, ça leur paye juste le cellulaire et la bouffe, mais eux, il faut encore qu’ils suent pour payer leur fix. Alors t’inquiète pas, un jour la mode ethnique va passer et ton gendre va retourner balayer la cour ou voler de la ferraille, parce que c’est à ça qu’ils servent dans le fond, ces bergers avec leurs chemises à lacets !
1re femme
Mais s’il se fait mettre à la porte, c’est moi qui vais faire vivre tout le monde, c’est ça ?
2e femme
Personne va te demander ton avis. Tu vas être leur esclave, ma chère ! Ou bien ils vont carrément te noyer dans la baignoire et mettre l’appartement à leur nom.
1re femme
Mais, mon Dieu, qu’est-ce que je dois faire ?
2e femme
Tiens! (Elle sort de la poche de son manteau une petite fiole et la présente à la 1re femme.)
1re femme
Qu’est-ce que c’est ?
2e femme
C’est la guerre, tu comprends ? C’est le temps de passer de la prévention aux opérations terrestres! C’est le premier qui se décide qui gagne! Une pilule dans sa soupe ou dans son thé et dans six mois, ta fille, ton petit-fils et la grand-mère chérie vont former une belle famille! Et tout ce qui va rester de ton gendre... c’est des beaux souvenirs !
1re femme
C’est quoi, ces pilules ? C’est du poison ou quoi ?
2e femme
Non, des bonbons ! Évidemment, c’est du poison. N’aie pas peur, personne va s’en rendre compte, ça a fait ses preuves, je l’ai moi-même expérimenté! La seule différence, c’est que ton gendre, c’est un bandit et mon mari... c’était encore pire !

(…)

ACTE V

5e homme
Et toi, pourquoi tu prends des photos de tout ça ?
2e homme
Pourquoi... je ne sais pas. Comme ça. C’est cool, après, je peux faire une expo pour montrer qu’il ne faut pas faire ça, je veux dire, tout le monde va voir ces horreurs-là et ils vont être horrifiés, alors, ils vont faire plus attention...
5e homme
Tu dis vraiment n’importe quoi !
2e homme
Ah oui ?
5e homme
Oui! Regarde comme c’est beau ! (Il prend la photo des mains du premier homme.) Non ?! Si c’était pas beau, tu prendrais pas la peine de photographier ! Parfaitement ! Quand quelqu’un regarde ces images, il voit pas l’horreur, mais la beauté ! Alors, cet art-là continue de progresser et de faire son chemin dans la vie ! Et tout le monde est déjà contaminé, c’est plus juste une question de qui, quoi, combien de personnes sont mortes dans les explosions, les meurtres, les actes terroristes, c’est autre chose, une chose encore plus effrayante, c’est le début d’une réaction en chaîne. Tout le monde, tout le monde est contaminé par ça ! Des innocents meurent, alors d’autres innocents sont contaminés, et même les pacifistes les plus convaincus finissent par couper des têtes ! Et personne veut s’arrêter ! Personne ! Et toutes ces idées-là sont ridicules parce qu’elles sont tellement banales !... Mais quand même, ton idée à toi est dangereuse, ces photos-là, l’expo, c’est comme les valises sur la piste. Pas vrai ? Tout le monde va examiner ça, analyser, et ça ne va pas sauter tout de suite, non, ça va sauter plus tard, à l’intérieur de chaque personne, dans la vie de tout le monde, chacun à sa manière ! C’est vrai... la vie est devenue tellement pratique, un ami me racontait qu’un soir, tard, il a lancé son vieux chien du balcon... demain matin, les concierges vont le ramasser qu’il me dit, c’est pratique, pas besoin d’aller nulle part, il l’a lancé et c’était fait, fini du vieux chien ! C’est horrible, non ? Moi, je vous raconte ça pour vous donner un exemple de l’horreur, parce que c’est horrible... Peut-être que vous, vous voyez ce que je veux dire, et vous allez raconter ça à vos amis, vous allez dire que votre commandant a un ami sadique et que c’est ça qu’il a fait avec son chien, et eux, ils vont raconter ça à leurs amis et là, il y a quelqu’un d’autre qui va lancer son chien par-dessus bord, parce que c’est tellement pratique, pas vrai ? Tu le lances par-dessus bord et c’est fini. Pas besoin d’anesthésier, pas besoin de payer, juste à sortir sur le balcon et c’est fait! Mais si personne avait raconté ça, est-ce que ça lui serait vraiment passé par la tête ? Ou bien il va se dire, il y en a d’autres qui le font, pourquoi pas moi ?...
4e homme
Alors à votre avis il faudrait interdire de parler de ça, interdire de montrer ça... Une fois que c’est arrivé, c’est fait ! On oublie, c’est ça ? Les explosions, les meurtres, la violence, tant pis ! Laissons tout ça aller ! Et nous, on devrait peut-être nous garder en cage pour qu’on ne puisse pas aller raconter quoi que ce soit à personne... personne, personne !



 
victime

COMMANDER
cote NOVAIA : NRU 75













  










presniakov

Vladimir et Oleg Presniakov, Ekaterinbourg 2009





Distribution

23 personnages
dont 8 femmes

 

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     AUTRES TRADUCTIONS publiées en France




 

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